Nous avons besoin de plus d’accords hybrides sur le commerce et l’environnement
L’approche à deux volets de l’OMC, à savoir des outils commerciaux plus coercitifs pour atteindre des objectifs environnementaux et des négociations environnementales douces, ne produira pas les changements escomptés sur le front du commerce ou de l’environnement. Tancrède Voituriez, chercheur principal au CIRAD, suggère que des accords commerciaux et environnementaux hybrides sont plus prometteurs.
Alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’intéresse de plus en plus aux questions environnementales et que les initiatives unilatérales de grands acteurs tels que l’Union européenne comportent des mesures aux frontières explicites pour atteindre des objectifs environnementaux, la gouvernance du commerce et de l’environnement revient au premier plan des deux agendas. Nous affirmons que le double mouvement consistant à utiliser des outils commerciaux plus coercitifs pour atteindre des objectifs environnementaux et à mener des négociations environnementales plus souples à l’OMC ne générera pas les changements escomptés sur le front du commerce ou de l’environnement. Des accords hybrides, mariant commerce et environnement, tels que l’Accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité initié par la Nouvelle-Zélande, semblent être une option plus prometteuse.
Résoudre le « problème épineux » de la gouvernance environnementale
La politique du changement environnemental mondial peut être décrite comme un processus dynamique se déroulant selon deux axes : la diffusion horizontale – avec les inclusions successives de questions et d’acteurs environnementaux – et l’application verticale. La première peut être observée dans la multiplication des accords environnementaux multilatéraux (AEM) et le nombre croissant de signataires, et l’application verticale, dans l’ajout d’instruments juridiquement contraignants, tels que les protocoles, pour résoudre le problème épineux de la mise en œuvre.
Nous vivons un tel moment de verticalisation. Dans le graphique bien connu de la « courbe en cloche » des AEM signés au cours des 170 dernières années, fondé sur le projet de base de données sur les accords environnementaux internationaux, nous pouvons observer le double mouvement d’expansion et de verticalisation au fil du temps, les protocoles s’ajoutant aux accords au fil des ans pour donner à ces derniers un peu plus de mordant. La courbe en cloche montre aussi clairement que le pic d’expansion est derrière nous. La verticalisation des AEM – c’est-à-dire la définition de mécanismes pour résoudre le problème de la mise en œuvre – est désormais la force motrice qui façonne la politique du changement environnemental mondial.
La verticalisation des AEM – est désormais la force motrice qui façonne la politique du changement environnemental mondial
La nouveauté de cette période réside dans la prolifération des mécanismes verticaux, au-delà du cas étroit des protocoles. Des initiatives ou des coalitions regroupant des parties prenantes publiques et privées se sont multipliées pour transformer de vastes AEM en résultats concrets. L’Accord de Paris en est un bon exemple. La Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP 26) qui s’est tenue à Glasgow en 2021 a vu fleurir des initiatives plurilatérales sur la déforestation, le méthane, les transports et la transition énergétique équitable. Dans le cadre d’une approche axée sur les objectifs, similaire à celle qui sous-tend les AEM et leurs protocoles, ces initiatives verticales restent toutefois assez évasives sur la manière exacte d’atteindre leurs objectifs de transformation. C’est là qu’interviennent les mesures commerciales unilatérales.
Les mesures aux frontières peuvent-elles résoudre les problèmes transfrontaliers ?
Formulée ainsi, la question suggère qu’une réponse raisonnable est « non ». Pourtant, certains des plus vibrants défenseurs du multilatéralisme sont aujourd’hui tentés de suivre une voie plurilatérale, voire unilatérale. C’est le cas de l’Union européenne (UE), avec sa réglementation phare à venir sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et les marchandises sans déforestation.
La Commission européenne a proposé le MACF en juillet 2021 dans le cadre d’un vaste paquet législatif visant à réduire les émissions domestiques nettes de gaz à effet de serre en Europe d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Le MACF vise à éviter les risques de fuite de carbone pour l’industrie européenne couverte par le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (en commençant par cinq secteurs : l’aluminium, le ciment, l’électricité et les engrais, ainsi que le fer et l’acier – une liste qui pourrait s’allonger au fil du temps). Il vise à créer des conditions de concurrence équitables entre les importations de produits à forte intensité de carbone, dont le coût en carbone est faible ou nul à l’étranger, et la production nationale en Europe, qui connait une augmentation du coût en carbone dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émission.
Contrairement aux versions précédentes du MACF – comme celle proposée par le Premier ministre français de l’époque, Dominique de Villepin, en 2006, et reprise un an plus tard par le président Nicolas Sarkozy (le MACF ressemble en quelque sorte à une obsession française) – l’argument de vente aux autres nations est que le MACF n’est pas un bâton, mais une carotte. Il est censé inciter les pays exportateurs à accroître leurs ambitions en matière de climat et à augmenter les recettes du MACF dans leur pays (par le biais de taxes nationales sur le carbone, par exemple) au lieu de laisser l’Union européenne les collecter à ses propres frontières.
Cette évolution vers l’unilatéralisme a suscité certaines inquiétudes parmi les pays partenaires de l’UE – non pas à cause de l’unilatéralisme en soi, mais en raison de cette utilisation sans précédent de mesures commerciales pour atteindre des objectifs non commerciaux. Des inquiétudes similaires ont été soulevées par la proposition de législation sur les chaînes de valeur sans déforestation présentée par la Commission en novembre 2021 et visant à freiner la déforestation et la dégradation des forêts causées par l’expansion des terres agricoles utilisées pour produire des « produits de base spécifiques présentant un risque pour les forêts » (à commencer par le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et le bois). Le règlement proposé devrait imposer des obligations de diligence raisonnable aux opérateurs qui mettent ces produits de base et certains produits dérivés sur le marché de l’UE.
Malgré le risque d’une réaction négative de la part des partenaires commerciaux, la Commission a fait valoir que toutes ces mesures unilatérales passaient le test de la compatibilité avec l’OMC et servaient un intérêt mondial. En bref, elles sont unilatérales de par leur conception mais multilatérales de par leur intention. Le paradoxe est que cette « verticalisation » unilatérale de la politique environnementale par le biais de mesures liées au commerce confère à l’OMC le rôle d’arbitre de dernier recours à un moment où l’organisation n’a jamais été aussi loin de pouvoir l’exercer et est plutôt désireuse d’« horizontaliser » sa portée et son action.
Le blocage à l’OMC s’étend horizontalement
Alors que la gouvernance environnementale se développe actuellement par le biais d’initiatives et de mécanismes d’application verticaux, y compris par le biais de mesures unilatérales liées au commerce, la gouvernance du commerce semble suivre un mouvement orthogonal. À l’exception de l’accord sur les subventions à la pêche, les développements passés à l’OMC ont montré une extension horizontale vers les questions environnementales – au mordant limité, c’est le moins que l’on puisse dire, lorsqu’il s’agit d’application. Les Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale (TESSD), le Dialogue informel sur la pollution par les plastiques et un commerce des plastiques écologiquement durable, et la Réforme des subventions aux combustibles fossiles (RSCF) illustrent cette évolution vers l’OMC en tant que forum fournissant des lignes directrices et des meilleures pratiques – un peu comme l’Organisation de coopération et de développement économiques, si vous voulez – mais pas de mécanismes d’application et de dispositions contraignantes en soi.
L’initiative TESSD, qui compte aujourd’hui 74 membres, se concentre sur la promotion de la transparence et du partage d’information, l’identification des domaines de travail futurs au sein de l’OMC, le soutien des besoins en matière d’assistance technique et de renforcement des capacités (en particulier pour les pays les moins avancés), et le travail sur les « résultats attendus » de la durabilité environnementale. Dans une approche assez similaire à celle de l’Accord de Paris, qui repose sur des obligations procédurales, les TESSD se déroulent par le biais d’événements de bilan, d’un examen des progrès réalisés – y compris l’identification des bonnes pratiques, des actions volontaires et des partenariats dans les domaines pertinents – ainsi que de l’adoption des prochaines étapes pour stimuler l’ambition.
La gouvernance du commerce semble suivre un mouvement orthogonal.
Les 72 membres de l’OMC prenant part au Dialogue informel sur la pollution par les plastiques et le commerce écologiquement durable des plastiques espèrent s’attaquer aux coûts environnementaux, sanitaires et économiques croissants de la pollution par les plastiques, en utilisant le commerce comme instrument pour réduire la pollution par les plastiques et promouvoir un commerce écologiquement durable des plastiques. Le Dialogue n’implique pas non plus d’obligation verticale et contraignante.
La réforme des subventions aux combustibles fossiles, coparrainée par 47 membres de l’OMC, est la troisième initiative « sœur » sur l’environnement menée à l’OMC. La déclaration ministérielle conjointe sur la RSCF émise suite à l’engagement climatique de la COP 26 affirme, entre autres, que l’OMC « peut jouer un rôle central dans la réduction des distorsions des échanges et des investissements causées par les subventions aux combustibles fossiles en mettant en place des disciplines effectives sur les subventions inefficaces aux combustibles fossiles ». Pourtant, à l’instar de ses deux sœurs, la RSCF sert de forum pour approfondir la compréhension et échanger des bonnes pratiques plutôt que pour négocier.
Quelle est la meilleure solution ?
Un chemin horizontal et un chemin vertical peuvent-ils converger quelque part ? En réalité, ils peuvent se croiser quelque part, mais sans plus. Ce double mouvement ne comblera pas le déficit dans la mise en œuvre de la gouvernance environnementale mondiale. Elle ne fera pas de l’OMC l’organisme normatif qu’elle était avant que le cycle de Doha ne déraille et que la devise « mon pays d’abord » ne se répande parmi certains de ses membres fondateurs. Le fait de parler davantage d’environnement dans les négociations de l’OMC et davantage de mesures commerciales dans les AEM n’exclut pas le risque de conflits commerciaux et de réactions hostiles à l’environnement.
Le fait de parler davantage d’environnement dans les négociations de l’OMC et davantage de mesures commerciales dans les AEM n’exclut pas le risque de conflits commerciaux et de réactions hostiles à l’environnement.
Une option intermédiaire, qui pourrait être l’intersection entre les deux voies orthogonales que nous avons décrites, pourrait consister à négocier des accords hybrides plurilatéraux sur le commerce et l’environnement englobant ces deux dimensions. Dès le départ, ils seraient conçus comme un mécanisme de coopération, contrairement au MACF, qui a été conçu par les Européens pour les Européens. Et, contrairement aux trois initiatives sœurs, il s’agirait d’accords intégrés et exécutoires. L’Accord hybride sur le changement climatique, le commerce et la durabilité initié par la Nouvelle-Zélande semble être un précurseur à cet égard. Il est plurilatéral mais étroitement lié à l’OMC. Les pays qui prennent au sérieux leur participation aux initiatives sœurs et la « dimension coopérative » de leur MACF seraient bien avisés d’y prendre part.
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